La e-santé est en pleine évolution en France avec une nouvelle feuille de route du numérique en santé qui sera lancée au cours de l’année, après la phase de consultation, axée sur plusieurs piliers : la prévention, la prise en charge, l’accès à la santé et un cadre propice pour le déploiement des usages et de l’innovation.
2023 sera une année charnière pour former les professionnels de santé, accompagner les patients et citoyens dans l’utilisation du numérique en santé et surtout créer des usages qui pourront pérenniser toutes les infrastructures et solutions développées.
On le sait, le numérique est en perpétuelle évolution avec de nouvelles technologies ou pratiques émergentes chaque année. Le monde de la santé est inévitablement impacté par toutes ces évolutions. Voici un tour d’horizon de certaines de ces technologies émergentes pour 2023.
Depuis la fin 2022, une nouvelle intelligence artificielle est sur toutes les lèvres : ChatGPT de OpenAI. Cette effervescence autour de cette solution n’est pas un simple buzz, mais annonce une véritable nouvelle ère pour le numérique. Pourquoi ? Tout simplement parce qu’elle va bouleverser des usages établis et de nombreux secteurs : recherche internet (vs Google), informatique, journalisme, art et design, culture (films, musiques, romans…), l’éducation… et le monde de la santé.
ChatGPT est un prototype de chatbot d’intelligence artificielle capable de comprendre le langage humain naturel et de générer du texte d’un niveau de détail impressionnant 1. Cette IA, entraînée à partir de nombreuses conversations avec des humains, est en capacité d’écrire du code informatique, de rédiger des contenus, de générer des visuels et surtout de répondre à toutes les questions que vous vous posez sur n’importe quel sujet.
Tous les internautes qui ont pu le tester, dont je fais partie, se rendent compte du champ des possibles sans limite et du bouleversement que va provoquer cette nouvelle IA dans les usages numériques. On peut notamment se projeter sur de nombreux usages en santé :
- R&D : rédaction d’essais scientifiques et d’études
- Information : simplifier et faciliter l’information sur les pathologies, traitements etc… tout en luttant contre la désinformation
- Marketing : rédaction rapide de contenus répondant notamment aux enjeux de l’omnicanalité des industriels
- Informatique : détecter les failles de sécurité et répondre aux enjeux de cybersécurité
Toutefois il faut pondérer l’effet enthousiaste après les premières utilisations de cette IA. En effet, il faut bien comprendre qu’il ne s’agit que d’une machine qui n’intègre pas le contexte ou l’état émotionnel de l’utilisateur, ce qui peut poser certaines problématiques dans les recherches effectuées par exemple par des patients en souffrance.
Sans aucun doute, l’émergence de ces intelligences artificielles génératrices de contenus est une révolution qui va impacter l’ensemble des acteurs du numérique et donc du digital santé.
Le déploiement de la 5G et l’acculturation progressive des professionnels de santé et des patients au numérique, contribuent à un nouvel essor des objets connectés en santé. Nous l’avons d’ailleurs constaté lors de l’édition 2023 du Consumer Electronic Show (CES) début janvier, avec la présentation de multiples objets connectés en santé pour la prise en charge de patients chroniques, le diagnostic ou la télésurveillance.
On peut citer Withings et son nouveau dispositif U-scan pour analyser son urine à domicile, B-Heart, un tracker de santé autonome en énergie intégré dans un bracelet par Baracoda Daily Healthtech ou la bague connectée Evie Ring pour suivre ses constantes santé.
La 5G favorise la démocratisation et le déploiement des objets connectés car la connexion est décuplée, les zones blanches quasi inexistantes et les utilisateurs pourront profiter d’une latence quasiment absente. Les performances sont également améliorées : rapidité de communication avec d’autres objets connectés, smartphones ou tablettes et vitesse de transmission des données.
Déjà très présents sur les sites de production des industriels, les solutions connectées vont continuer à se déployer : optimisation des process, réduction des délais de production ou simplification des circuits logistiques et transports.
Pour répondre aux problématiques rencontrées aujourd’hui par les établissements de santé, le numérique apparaît comme une des solutions pour l’optimisation des soins et de la prise en charge des patients : on parle de l’émergence de smart hôpital où les objets connectés sont omniprésents. Dans cette transformation digitale de l’hôpital, les solutions connectées se déploient de plus en plus :
- Bloc opératoire connecté et développement de la télé-chirurgie
- Ambulatoire favorisé en optimisant le suivi post-opératoire des patients
- Monitoring des données patients hospitalisés : centralisation et suivi en temps réel
- Plus grande fluidité dans la transmission des données comme l’imagerie médicale
- Décollage de la télésurveillance et de la télé-expertise
- Essor des ambulances connectées pour optimiser la prise en charge des patients
Je suis convaincu du potentiel et de l’apport des objets connectés dans le monde industriel pour optimiser les chaînes de production des médicaments et répondre aux enjeux d’approvisionnement. Après une longue période de stagnation, le marché des objets connectés santé va prendre son essor avec l’acculturation et l’accompagnement des professionnels de santé dans le numérique santé.
L’audio prend une place de plus importante dans nos usages du quotidien. Il suffit de voir le succès des podcasts ou l’explosion de l’usage des messages audio au sein des messageries instantanées. Au-delà de ces usages du quotidien on observe l’essor de solutions vocales dans le monde de la santé.
Des premiers voicebots santé ont émergé et vont poursuivre leur déploiement en 2023. Il s’agit de dispositif relationnel automatisé basé sur le même socle d'intelligence artificielle et doté des mêmes capacités qu'un chatbot, mais pour lequel les échanges sont effectués de manière vocale. Un voicebot est un robot conversationnel qui dialogue à la voix et en langage naturel : l’utilisateur parle et échange avec le bot comme avec un humain. Ces voicebots, principalement déployés sur les enceintes connectées comme Amazon Alexa ou Google Home, permettent :
- un accompagnement du patient au domicile : suivi de données (pas, tension, température…), message motivationnel
- un suivi dans le cadre de maladies chroniques (connexion applications santé et objets connectés)
- une aide à l’observance
- le déploiement de services en pharmacie type voice and collect
- un accès à de l’information et des conseils santé
Comme exemple on peut citer l’assistant vocal d’Omron Healthcare déployé sur Alexa pour les patients atteints HTA (rappel prise de tension ou traitement, relevés, info nutritionnelles…).
Des solutions vocales sont de plus en plus présentes dont certaines présentées au CES 2023. Pour accompagner les patients qui souffrent de troubles ou perte de la voix suite à une maladie grave ou opération (SLA, autisme, aphasie, paralysie cérébrale, dysarthrie, laryngectomie…), Acapela Group propose « My-own-voice », un service web disponible dans plus de 20 langues qui permet à chacun de créer facilement sa voix de synthèse. Autre exemple avec Aloe Care qui déploie la solution vocale Smart Hub 2 qui est un système personnel d’intervention d’urgence qui facilite la communication vocale : détection de chute par détection WiFi pour les interventions d’urgence personnelles, demandes d’urgence activées par la voix, 24h/24 et 7j/7…
Autre usage : l’accompagnement des professionnels de santé dans leur pratique, notamment au niveau des transcriptions médicales qui sont chronophages et prennent beaucoup de temps. Des solutions vocales, intégrant un traitement automatique du langage naturel, se déploient pour simplifier les comptes-rendus dans les dossiers patients. On peut citer comme exemple Robin Healthcare qui propose une enceinte connectée pour les chambres d’hôpital qui permet de transcrire automatiquement les interactions entre les médecins et les patients. Autre exemple avec Amazon Transcribe Medical, un service de machine learning qui permet de créer facilement et rapidement des transcriptions précises de consultations médicales entre patients et médecins.
Une conviction forte : le vocal et l’audio en général sont tellement présents que les solutions vocales au service de la pratique des professionnels de santé ou de l’accompagnement des patients vont se multiplier au cours des prochains mois.
Aujourd’hui, l’impression 3D est de plus en plus présente dans le monde de la santé, qui offre de nouvelles perspectives au niveau de la chirurgie, réadaptation ou de la production de médicaments.
Au-delà de cette technologie, on observe l’essor du bioprinting, qui consiste à imprimer des tissus vivants par des approches d’impression 3D. Il existe des analogies de principe entre le bioprinting et la fabrication de prothèses ou d’implants par impression 3D. La grande différence vient de la nature de la matière déposée qui est vivante et non inerte. Pour être plus concret, la cartouche d’encre est remplacée par des cellules humaines et les bio matériaux font office de papier.
Des expérimentations existent depuis quelques années. A titre d’exemple, la société de biotechnologie BIOLIFE4D a réussi à créer un micro-cœur humain, grâce à la technologie de bio-impression 3D avec pour objectif de créer un traitement personnalisé à partir des cellules de la personne malade, éliminant ainsi les risques de rejet. Autre illustration récente, la mise au point de mini-intestins imprimés pour étudier les infections bactériennes2.
Les usages du bioprinting vont se poursuivre en 2023 :
- reproduction de la physiologie de tissus humains pour tester de manière plus prédictive des molécules, ingrédients, candidats médicaments… et réduire ainsi le recours à l’expérimentation animale
- développement de solutions thérapeutiques personnalisées pour résoudre les problèmes de rejets
- médecine régénératrice : mise au point de greffons artificiels (de cornée, de peau…)
Parmi toutes les technologies émergentes dans le monde de la santé, le bioprinting est celle dans laquelle je crois le plus, notamment lié au potentiel extraordinaire pour la médecine régénératrice ou le développement de traitements personnalisés.
Nous avons abordé dans une précédente chronique ce sujet du numérique santé et de l’environnement. Un sujet autour du changement climatique et de l’environnement qui fait partie des principales préoccupations des Français.
Pour rappel, dans le secteur de la santé, le numérique pollue de plus en plus chaque année (+6% par an) et représente aujourd’hui 2% de la consommation énergétique de toute la France3, les émissions en GES du numérique pourrait augmenter de 60 % d’ici à 2040, soit 6,7 % des émissions de GES nationales. Un groupe de travail a été constitué par l’Agence du Numérique en Santé avec pour principaux objectifs de sensibiliser l’ensemble des acteurs de la filière et mettre en place des indicateurs pour mesurer l’impact environnemental.
Dans un contexte de réchauffement climatique et de restrictions énergétiques, cet enjeu deviendra de plus en plus important en 2023 et doit être intégré par tous les acteurs du numérique santé dans le déploiement de leurs solutions.
Aujourd’hui, l’impression 3D est de plus en plus présente dans le monde de la santé, qui offre de nouvelles perspectives au niveau de la chirurgie, réadaptation ou de la production de médicaments.
Le numérique santé ne peut pas se développer sans prendre en considération tous les enjeux sociétaux, parmi lesquels le sujet de l’environnement et de la sobriété numérique. Plus que des mots, il faut maintenant que les acteurs de santé passent à l’action !
Le cadre réglementaire pour les acteurs du numérique évolue et va impacter certains acteurs de santé dans leurs dispositifs de communication et gestion des données. Les règlements DMA (Digital Markets Act ) et DSA (Digital Services Act ) votés par le Parlement Européen proposent de nouveaux outils pour encadrer les géants du net et de nouvelles obligations qu’il s’agisse de contenus (DSA) ou de pratiques anticoncurrentielles (DMA).
La législation sur les marchés numériques (DMA) vise à lutter contre les pratiques anticoncurrentielles des géants d’internet et corriger les déséquilibres de leur domination sur le marché numérique européen4. Des outils de régulation sont mis en place en amont pour créer une concurrence loyale entre les acteurs du numérique, notamment au profit des petites et moyennes entreprises et des start-up européennes ; stimuler l’innovation, la croissance et la compétitivité sur le marché numérique et renforcer la liberté de choix des consommateurs européens.
La législation sur les services numériques (DSA) veut mettre en pratique le principe selon lequel ce qui est illégal hors ligne est illégal en ligne5. Les objectifs sont multiples :
- mieux protéger les internautes européens et leurs droits fondamentaux (liberté d'expression, protection des consommateurs...) ;
- aider les petites entreprises de l'UE à se développer ;
- renforcer le contrôle démocratique et la surveillance des très grandes plateformes ;
- atténuer des risques systémiques, tels que la manipulation de l'information ou la désinformation.
Sur le volet du digital média, la fin des cookies tiers reportée à fin 2023 et les alternatives proposées par Google ou d’autres prestataires d’identifiants uniques vont impacter le marché de la publicité digitale dans sa capacité de ciblage et de mesure de ROI. Un impact non négligeable pour les campagnes publicitaires promotionnelles ou certaines campagnes de prévention ciblées.
Pour sécuriser les données, protéger les citoyens et faire émerger quelques champions du numérique européens, les aspects réglementaires sont incontournables mais ne doivent pas freiner l’innovation et le développement des usages.
Evidemment, il est difficile d’être exhaustif sur toutes les tendances et technologies émergentes qui vont impacter le monde de la santé. En complément, on peut citer l’omniprésence du numérique au niveau de la R&D (jumeaux numériques, drug design, biomarqueurs digitaux…), la croissance des DTx, la télésurveillance dans le droit commun, les NFT et blockchain, la généralisation du web 3, les premières véritables expérimentations dans le métaverse, la souveraineté numérique…
Rémy Teston - Consultant digital / Buzz E-santé
ChatGPT est spectaculaire et sa vitesse d'adoption encore plus. On voit fleurir d'un coup bcp d'IA "grand public" et évidemment, ça va tout changer. Le sujet principal, particulièrement en santé, sera la confiance que le public, et les PDS, pourront accorder à ces IA. La vraie bataille sera celle de la confiance.
Pas de Chine, ni d'Allemagne, ni de Russie, au CES. Beaucoup d'US, de Corée du Sud, de Japon, de Taiwan. Le barycentre du monde techno est sur le Pacifique. Il va nous falloir apprendre à penser plus loin…
L'avènement de l'IA va changer les politiques de R&D : recherche fondamentale avec une accélération des découvertes grâce à des "screening" meilleurs et plus rapides, amélioration quali, quanti et temporelle des essais cliniques avec des IA complétant les études interventionnelles par des études rétrospectives et observationnelles issues des données antérieures et des données de vie réelle, et des IA favorisant l'inclusion et l'adhésion des patients. De grands labos mettent déjà ces programmes en place.
Le smart hôpital se double d'un smart home : la télésurveillance, l'analyse à distance (ex analyse d'urine), la 5G et la miniaturisation des imageries, vont faire diminuer l'intérêt des plateaux techniques centralisés et donc de l'hospitalo-centrisme. La révolution de l'hôpital et de la prise en charge en ville y/c de pathologies parfois plus exigeantes, est en route.
1. ChatGPT, le guide complet : pourquoi cette IA va changer le monde- Lebigdata.fr – Décembre 2022
2. Des mini-intestins imprimés en 3D pour traiter les infections intestinales – 3D Natives – Novembre 2022
3. Horreur ! La e-santé pollue trois fois plus que l’aviation civile. Comment agir ? – Whats Up Doc ? – Juillet 2022
4. DMA : le règlement sur les marchés numériques veut mettre fin à la domination des géants du Net – Vie-publique.fr – Octobre 2022
5. Le règlement européen sur les services numériques (DSA) vise une responsabilisation des plateformes – Vie-publique.fr – Octobre 2022
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